EXERCICE n°5

V.

Suite du dialogue entre A et B

A. Malgré cet éloge, quelles conséquences utiles à tirer des mœurs et des usages bizarres d’un peuple non civilisé ?

B. Je vois qu’aussitôt que quelques causes physiques, telles, par exemple, que la nécessité de vaincre l’ingratitude du sol, ont mis en jeu la sagacité de l’homme, cet élan le conduit bien au-delà du but, et que, le terme du besoin passé, on est porté dans l’océan sans bornes des fantaisies, d’où l’on ne se tire plus. Puisse l’heureux Tahitien s’arrêter où il en est ! Je vois qu’excepté dans ce recoin écarté de notre globe, il n’y a point eu de mœurs, et qu’il n’y en aura peut-être jamais nulle part.

A. Qu’entendez-vous donc par des mœurs ?

B. J’entends une soumission générale et une conduite conséquente à des lois bonnes ou mauvaises. Si les lois sont bonnes, les mœurs sont bonnes ; si les lois sont mauvaises, les mœurs sont mauvaises ; si les lois, bonnes ou mauvaises, ne sont point observées, la pire condition d’une société, il n’y a point de mœurs. Or, comment voulez-vous que des lois s’observent quand elles se contredisent ? Parcourez l’histoire des siècles et des nations tant anciennes que modernes, et vous trouverez les hommes assujettis à trois codes, le code de la nature, le code civil, et le code religieux, et contraints d’enfreindre alternativement ces trois codes qui n’ont jamais été d’accord ; d’où il est arrivé qu’il n’y a eu dans aucune contrée, comme Orou l’a deviné de la nôtre, ni homme, ni citoyen, ni religieux.

A. D’où vous conclurez, sans doute, qu’en fondant la morale sur les rapports éternels, qui subsistent entre les hommes, la loi religieuse devient peut-être superflue ; et que la loi civile ne doit être que renonciation de la loi de nature.

B. Et cela, sous peine de multiplier les méchants, au lieu de faire des bons.

A. Ou que, si l’on juge nécessaire de les conserver toutes trois, il faut que les deux dernières ne soient que des calques rigoureux de la première, que nous apportons gravée au fond de nos cœurs, et qui sera toujours la plus forte.

B. Cela n’est pas exact. Nous n’apportons en naissant qu’une similitude d’organisation avec d’autres êtres, les mêmes besoins, de l’attrait vers les mêmes plaisirs, une aversion commune pour les mêmes peines : voilà ce qui constitue l’homme ce qu’il est, et doit fonder la morale qui lui convient.

Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville ou Dialogue entre A. et B

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PRÉSENTATION DU TEXTE

LEXIQUE

PRINCIPALES QUESTIONS / PROBLÉMATIQUES

Supplément au Voyage de Bougainville